Dans la vie, j’aime les certitudes. Les choses doivent être mises à leur place et y rester. Il peut m’arriver de vouloir changer leur emplacement mais j’estime que c’est à moi de décider de quoi, ou, quand et comment. Normal non ? En gros, j’aime la stabilité. Le changement c’est bien mais pas quand il m’est imposé. C’est comme ça que j’ai plus ou moins dirigé ma carrière professionnelle. J’y arrivais bien. Depuis 1996 je bosse et à chaque fois, j’ai pu orienter ma carrière, plus ou moins, dans la direction voulue.

Au début de la décennie précédente, après 4-5 années de balade professionnelle, j’avais fait le choix volontaire de me choisir un employeur avec lequel je pourrais construire quelque chose sur la durée. Et je l’ai trouvé. Assez facilement d’ailleurs. A l’époque, tu voyais une annonce, tu envoyais un CV. Quelques jours plus tard, tu recevais un appel et 2 semaines plus tard tu signais un contrat. C’était comme ça. Facile et sans prise de tête. Et c’est comme ça que j’ai trouvé mon « employeur pour la vie ». Celui-ci faisait partie des boites pour lesquelles je rêvais de bosser. Et c’était donc chose faite.

Au départ, j’étais un peu paumée, regrettant même amèrement mon choix, les tous premiers jours. Les grosses boites avec un nom qui va bien, ça peut impressionner par sa façon de fonctionner au début. Surtout quand la boite est plutôt désorganisée, malgré sa réputation. Et puis, je m’y suis plu. L’environnement multi-culturel, l’ébullition constante, l’esprit humain et finalement j’ai aussi fini par apprécier ce chaos, qui au début me faisait très peur. Tout était possible. Il n’y avait pas de balises et cette frayeur a fini par se transformer en curiosité. J’ai réalisé que j’allais pouvoir mener ma barque comme je le voulais.

Petit à petit, je m’y suis fait ma place. J’ai effectué une première mission dans un domaine qui, à l’époque, ne m’était pas familier : le e-commerce. J’ai appris, très vite et j’ai pris du plaisir à faire mon job, à développer des choses et à pouvoir apporter mes idées et pouvoir les réaliser. Et puis, au bout de quelques années, j’en avais fait le tour. Un petite discussion avec les ressources humaines et me voila partie pour une autre mission, dans le marketing produit cette-fois ci. Même société, autre étage mais surtout environnement totalement différent. Contacts avec la société-mère, petite équipe et surtout stratégie de marché plus traditionnelle. Et hop, c’était reparti pour un apprentissage et surtout l’acquisition de compétences et de connaissances nouvelles. C’était chouette. J’en ai bavé aussi, mais j’aimais bien ce boulot.

Jusqu’à ce jour, au milieu de la décennie 2K, au mois de décembre, à peine neuf mois après avoir démarré ce nouveau job, on m’annonce que la ligne de produit sera restructurée et que mon job sera délocalisé en Angleterre. Je m’effondre. Je crains le pire. C’est fois, c’est fini. Mais non, car c’est une grosse boite et je suis polyvalente.

Je me retrouve alors dans un service, encore inconnu pour moi. Cette division est pourtant la plus importante de la boite, celle qui emploi le plus de gens et qui enchaine succès sur succès. Intimidée au départ, je me retrouve entourée de gens qui ont une personnalité, qui se croient tous un peu invincibles, car ils bossent sur le produit le plus porteur que la boite n’ai jamais inventé. Un produit qui est beau, un produit innovant, un produit qui inspire. Et moi, je fais partie de ça. Sortie fragilisé de l’échec précédent, qui ne pouvait pourtant pas m’être attribuée, j’ai eu un peu de mal à trouver ma place. Un peu écrasée par ces égos, que je percevais comme tel, mais qui en réalité, n’étaient que des personnalités fortes.

Et puis, ma place, je l’ai trouvée. J’ai du complètement revoir ma façon de penser, de travailler. Me remettre en question. Questionner mes approches, mes repères. Et après quelques heurts, j’ai enfin réussi à m’épanouir à nouveau. Et puis, année après année, contact après contact, rencontre après rencontre, j’ai réalisé à quel point j’étais bien. Oh évidemment, ce n’était pas vraiment rose tous les jours. Il fallait bosser dur. Le business n’était pas du tout facile. Et puis la boite n’allait pas vraiment bien. Tous les X années, nous devions faire face à des économies et des restructurations et à chaque fois, chacun retenait son souffle. A chaque fois, j’ai été épargnée car ma pour ma branche, tout allait plutôt bien.

Puis vinrent ces 2 dernières années. Le marché commençait à ralentir, voir à se réduire. Hélas, cela réduit les volumes et quand on a déjà du mal à atteindre les volumes critiques pour permettre au business d’être rentable, ça se gâte. Mois après mois, nous nous accrochons et arrivons à obtenir des résultats encore raisonnable, compte tenu des circonstances et de ce marché qui ne cesse de se réduire. A mon poste, je m’éclate mais faisant la même chose depuis 8 ans, je pense avoir fais le tour. Et la, un petit coup de chance, on me propose un poste dont je revais depuis longtemps. Je l’accepte.

Je suis rejoint dans ce défi par une collègue formidable dont je connais les compétences et avec qui, je suis certaine de pouvoir faire une team de winneuses. Et c’est le cas. Rapidement, nous déployons nos pouvoirs magiques et faisons un travail génial (et il n’y a pas que moi qui le dit). Nous voila toutes les deux, épanouies, heureuses et vraiment en plein bonheur professionnel.

Malheureusement, il y a quelques semaines, arriva ce qui devait arriver. Au départ, je crois à une mauvaise blague. Un samedi, je regarde Twitter et je découvre une presse qui relate des rumeurs de vente de la ligne de produits pour laquelle je bosse. Je me marre en lisant la rumeur et me dis « mais oui, bien-sûr. Ils ne savent plus quoi inventer pour faire de l’audience ». Surtout que ce n’était pas la première fois que je lisais des choses un peu farfelues sur mon employeur. Le lundi, on en parle au bureau. Moi, je rigole, incrédule. Après tout ce que nous avons traversé, c’est un scénario inconcevable, irréaliste. Oui, mais voila, la rumeur enfle et le mercredi soir, des annonces très sérieuses apparaissent sur des sites tout aussi sérieux. Mais rien n’est confirmé par l’employeur. C’est business as usual. L’inquiétude commence à s’installer. Il n’y a pas de fumée sans feu. Et puis en fin de journée, j’apprend qu’une assemblé générale aura lieu au QG de la boite le lendemain. C’est la que j’ai compris.

Le lendemain matin, nous recevons un e-mail à 8H nous convoquant à notre tour pour une assemblée générale à 9H30. Cette assemblée arrive trop tard car dès mon réveil à 6H30, les lis les informations sur Twitter. Ma boite vend ma division à quelqu’un d’autre et la production s’arrête immédiatement avec aucune intention de poursuivre la vente en Europe. Je suis effondrée. Je ne comprend pas. C’est injuste. Ce n’est pas ma division qui aurait du être touchée, mais l’autre. Celle qui coute un bras en termes de ressources et qui fabrique des produits qui inspirent nettement moins l’innovation. Je suis en colère. Mais je ne peux rien y faire.

Je me rend au boulot, comme tous les matins. Mes émotions sont chamboulées mais je n’arrive pas à m’exprimer. Je préviens les membres de mon équipe par sms afin de m’assurer qu’ils arrivent à l’heure pour l’annonce. Car c’est bien d’une annonce qu’il s’agit. Nous nous installons dans la salle, devant. Je ne veux rien rater. Mais j’ai déjà lu toutes les informations dans la presse. Je vois les managers de ma division, le visage fermé, mais très humble face à la situation. J’ai mal pour moi mais aussi pour eux. L’un deux prend la parole et nous explique la situation, calmement. Personne ne pose de question. Voila, c’est fini. Ensuite, le directeur de notre division nous demande de nous diriger vers une autre salle et nous refait le même tope. C’est un peu normal chez nous. C’est comme ça que les choses se passent. Il rajoute quelques détails, mais le résultat est le même. Malgré mon émotion, j’arrive à lui poser une question importante pour pouvoir poursuivre mon travail en sortant de la salle. Je reste professionnelle, calme, sans émotion. Mais malgré cela, je suis effondrée.

Après la séance, mes collègues et moi retournons à nos postes. Nous sommes sonnés, abasourdis. Nous décidons d’aller manger le midi, mais tous le monde est sous le choc. J’arrive à peine à manger. Je n’ai pas faim. Retour au bureau. Je finis par rentrer plus tôt et je rejoins mon homme qui m’attend pour m’accueillir, m’écouter. Il n’y a pas grand chose à dire. A ce moment la, l’impact de la décision doit officiellement encore être évalué. Mais il y a peu de place pour le doute ou la spéculation. C’est le lendemain que j’ai enfin pris la claque qui m’a fait réagir. Après une nuit épouvantable, j’ai vu arriver ma collègue, mon amie. Elle, qui d’habitude était si grande, si forte, un pilier, était en larme. Et la, j’ai craqué, car la, j’ai compris. Compris que tout ça, c’était fini. Le soir même je me suis écroulée et n’ai pas pu m’arrêter de pleurer pendant plusieurs heures. Les jours suivants ont également été très difficiles.

Cela fait plusieurs semaines maintenant. Il y a quelques jours, on nous a annoncé le résultat du calcul de l’impact. Comme attendu, tous les postes de mon département sont impactés. Mais il y aura d’autres licenciements dans d’autres groupes. Depuis, les négociations sont en cours. Les syndicats discutent avec le management afin de trouver un accord sur un plan social. Cela va prendre du temps. Les premiers veulent des garanties pour l’avenir ce que les seconds ne sont pas en mesure d’apporter. Peu importe, mon avenir à moi, il n’est plus la.

Depuis l’annonce, le travail s’est plus ou moins arrêté. Totalement pour certains, mais aussi beaucoup moins pour d’autre. Pour mon équipe et moi, je dirais qu’on est entre les deux, mais la, le volume baisse très vite. Et du coup, l’ambiance n’y est plus. Oh bien-sur, je suis investie de cette mission qui fait que je veux motiver les autres à ne pas baisser les bras, à ne pas sombrer. Il faut être patient et puis c’est tout. Mais ce n’est vraiment pas facile tous les jours.

Et la, il faut encore attendre. Attendre l’accord et puis surtout, attendre de recevoir la lettre de licenciement qui arrivera, dans quelques semaines et espérons-le, rapidement. Car la, cela devient très long. Je sais que c’est fini, alors, je préfère m’en aller pour me concentrer sur l’avenir et ses possibilités. Certes, ce passé m’est très cher, mais la, je suis mise devant le fait accompli : je dois obligée de changer d’employeur.

Moi, je vais avoir 40 ans le 1er Octobre. Et moi, je flippe. Car depuis 18 ans, j’ai eu des emplois stables avec un salaire qui rentrait tous les mois. J’ai construit une vie et une famille autour de cette certitude. Et la, je prive ma famille de cette certitude. Bien-sur, cet arrêt d’activité n’est nullement de ma faute et cela, je le sais bien, mais cela ne change rien au résultat. Donc, je dois très rapidement retrouver un emploi. Car moi, l’incertitude, je ne supporte pas. J’ai donc commencé à chercher du boulot, mais les choses ne sont plus comme avant. Tout a changé. Aujourd’hui, les CV doivent être courts et doivent être truffés de preuves de ses réalisations, de ses performances. Aujourd’hui, il ne suffit pas d’être parfaite trilingue pour trouver un job. Non, c’est plutôt un handicap de ne pas l’être… Aujourd’hui, les candidats se bousculent. Aujourd’hui, il y a pénurie d’emplois et plus de candidats. Et la, je vais devoir lutter. Une lutte que je n’ai jamais connue au paravent et qui, après quelques semaines de recherches, me parait déjà bien compliquée.

Mais je vais m’accrocher, car je n’ai d’autre choix que de la faire. Certains diront : c’est une opportunité. J’aimerais pouvoir penser ainsi mais j’estime ne pas avoir le luxe de me le permettre. Ces prochaines semaines risquent d’être encore difficiles. La signature de l’accord, le licenciement et surtout les adieux. L’adieu de ces collègues qui me sont si chers. Nous sommes une grande famille et nous nous apprécions tous énormément. Et finalement, c’est ça qui sera le plus compliqué. Je redoute les semaines qui viennent. Mais je dois m’accrocher. Car je n’ai pas le choix…

PS : je réalise que c’est article est un vrai pavé mais il fallait que ça sorte et je remercie ceux et celles qui sont arrivés jusqu’au bout.

Pour conclure, Adèle, Skyfall, dont les paroles reflètent bien mon état d’esprit.

Étiqueté dans :

, ,

À propos de l'auteur

Fashiongeekette

Quadra et j'aime ça, parce que les quadra c'est le pouvoir - Bruxelloise - Addict aux produits de beauté - Passionnée de mode - Amoureuse de son Big et de sa Pitchoun

Voir tous les articles